jeudi 28 février 2013

✑ la vie revee des fleurs ✑

Aux Masses Laborieuses
 -  fables de notre temps

Un matin dhiver que jétais dans lexigu et peu claire cuisine de mon appartement face autoroute, je me mis à regarder de plus pres, sur le plan de travail, un pot non moins minuscule plein de terre et de mousse où tentaient de survivre trois énormes bulbes de jacinthes. Elles étaient là depuis pres dune demi semaine, serrées sous leur blister de Noel enrubanné « Plaisir doffrir » et appartenaient à lun de mes colocataires, piètre jardinier, qui projetait aimablement de les porter à sa grand-mère pour la nouvelle année, lorsquelle sortirait de lhopital où son médecin sétait décidé à lenvoyer soigner sa toux des jours de fetes.

Deux bleues, une rose, les bleues plus robustes que la rose visiblement, la rose avec ses toutes petites clochettes clairsemées tournées vers le bas, les bleues aux fleurs multiples pressées les unes contre les autres et dressées vers la lumière. Tout ca dans une micro jatte ronde en terre comme ten vois sur les étales des charcuteries, remplies de rillettes ou de paté de campagne ; une jolie jatte ceci dit, avec une bien belle bordure vert anis et une collerette de paillettes assorties. 3 énormes bulbes aux feuilles grasses et épanouies à demi enfouis dans une mousse épaisse et drue piquée dune fleur de Noel, décoration à propos, sous un dome de plastique.

A bien observer il ma semblé voir frémir une boucle de mousse vert flamboyant, de ce vert si poussé quil parait surnaturel, celui là meme quemploi lindustrie du film hollywoodien pour figurer le sang des Martiens. Jai donc approché mon visage du hublot de polymère transparent, attentive plus dune minute - et cest long - courbée en avant, pointant le nez vers la composition florale au parfum entétant, les yeux rivés sur le tapis garant de fraicheur, mais rien, et cest lesprit encore embué de sommeil que je mis leau à chauffer dans la bouilloire pour mon bénéfique et adoré thé matinale puis me perdit en cérébraux vagabondages au-delà de la fenetre.

Cest au bruit du galop des remous deau que je refis surface et tournant la tete et le corps vers ma ronde et blanche théière, tout ce quil ya de plus banale, dans le mouvement ma vision décrit un cercle et je perçue une fois encore un mouvement du coté des jacinthes. Cette fois plus éveillée que la précédente je mapprochais de nouveau et fixais les végétaux avec attention. Cest alors que mapparut la vérité toute nue. Point dillusion : les fleurs étaient non seulement vivantes mais dotées du pouvoir de se mouvoir avec aisance et vivacité. Je due de surcroit vite me rendre à lévidence quelles étaient aussi à laise les pieds dans la terre quen dehors.

Jai lu Lewis Caroll et pensais que pareilles merveilles ne pouvaient quetre bonté, gentillesse et douceur, cétait sans compter sur loubli darrosage de ma paupiette de colocataire, car enfin on les comprendra, ces pauvres créatures finissaient par etre mortes de faim et de soif. Dans la logique de lévolution, elles se sont adaptées, plus vite que ne le prévoyait néanmoins notre ami Darwin et décidées à survivre, décrété en cœur de prendre la nourriture où elle se trouvait. Je nai pas de bloc-porte sur mes placards attendu quaucun bébé ne vit sous mon toit et meme si jen avait eu ils eurent été inutiles puisquen terme de réserves nutritives celles là dedans enfermées ne les interessées pas.

Elles se mouvaient comme si elles lavaient toujours fait, semblant glisser avec assurance, du bout de leurs racines radicelles, sur la plaque de cuisson en vitro céramique à linstar de Philippe CandArtagnan dans larène givrée du centre dentrainement de Saint Gervais. Je ne pouvais détacher mon regard de ce bulbe disproportionné aux allures dhideuse tete-eudème violacée et dont le derme partirait en lambeaux surmontait dune coiffe grassement feuillue et fleurie aussi ridicule quimposante évoquant dans mon esprit repu dHistoire les atours capillaires de la fantasque Marie Antoinette avant quelle ne perdit, hélas, ce quelle parait de si folle facon.

Elles navaient point dyeux et point de bouche mais ca ne les empecha pas de me sauter sur gorge et poitrine et denfoncer leurs méchantes fibres digestives – la jacinthe est gastéropode, je lappris à mes dépends - entre les pores de ma peau si tendre depuis que je loignais consciencieusement tri-quotidiennement de soins magiques à la sainte huile dArgan. Ainsi donc, en cette timidement ensoleillée matinée dhiver, lentement digéré par des végétaux enfin conscients de leurs capacités réelles et révoltés par leurs conditions précaires, je perdis ma substance et elles regagnèrent la leur. Juste retour des choses, un de mes congénères les en avait privé.

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