Aux Masses Laborieuses
- fables de notre temps
Un matin dhiver que jétais
dans lexigu et peu claire cuisine de mon appartement face autoroute, je me mis
à regarder de plus pres, sur le plan de travail, un pot non moins minuscule
plein de terre et de mousse où tentaient de survivre trois énormes bulbes de
jacinthes. Elles étaient là depuis pres dune demi semaine, serrées sous leur
blister de Noel enrubanné « Plaisir doffrir » et appartenaient à lun
de mes colocataires, piètre jardinier, qui projetait aimablement de les porter
à sa grand-mère pour la nouvelle année, lorsquelle sortirait de lhopital où son
médecin sétait décidé à lenvoyer soigner sa toux des jours de fetes.
Deux bleues, une rose, les
bleues plus robustes que la rose visiblement, la rose avec ses toutes petites
clochettes clairsemées tournées vers le bas, les bleues aux fleurs multiples
pressées les unes contre les autres et dressées vers la lumière. Tout ca dans
une micro jatte ronde en terre comme ten vois sur les étales des charcuteries,
remplies de rillettes ou de paté de campagne ; une jolie jatte ceci dit,
avec une bien belle bordure vert anis et une collerette de paillettes
assorties. 3 énormes bulbes aux feuilles grasses et épanouies à demi enfouis
dans une mousse épaisse et drue piquée dune fleur de Noel, décoration à propos,
sous un dome de plastique.
A bien observer il ma semblé
voir frémir une boucle de mousse vert flamboyant, de ce vert si poussé quil
parait surnaturel, celui là meme quemploi lindustrie du film hollywoodien pour
figurer le sang des Martiens. Jai donc approché mon visage du hublot de
polymère transparent, attentive plus dune minute - et cest long - courbée en
avant, pointant le nez vers la composition florale au parfum entétant, les yeux
rivés sur le tapis garant de fraicheur, mais rien, et cest lesprit encore embué
de sommeil que je mis leau à chauffer dans la bouilloire pour mon bénéfique et
adoré thé matinale puis me perdit en cérébraux vagabondages au-delà de la
fenetre.
Cest au bruit du galop des
remous deau que je refis surface et tournant la tete et le corps vers ma ronde
et blanche théière, tout ce quil ya de plus banale, dans le mouvement ma vision
décrit un cercle et je perçue une fois encore un mouvement du coté des
jacinthes. Cette fois plus éveillée que la précédente je mapprochais de nouveau
et fixais les végétaux avec attention. Cest alors que mapparut la vérité toute
nue. Point dillusion : les fleurs étaient non seulement vivantes mais
dotées du pouvoir de se mouvoir avec aisance et vivacité. Je due de surcroit
vite me rendre à lévidence quelles étaient aussi à laise les pieds dans la
terre quen dehors.
Jai lu Lewis Caroll et pensais
que pareilles merveilles ne pouvaient quetre bonté, gentillesse et douceur,
cétait sans compter sur loubli darrosage de ma paupiette de colocataire, car
enfin on les comprendra, ces pauvres créatures finissaient par etre mortes de
faim et de soif. Dans la logique de lévolution, elles se sont adaptées, plus
vite que ne le prévoyait néanmoins notre ami Darwin et décidées à survivre,
décrété en cœur de prendre la nourriture où elle se trouvait. Je nai pas de
bloc-porte sur mes placards attendu quaucun bébé ne vit sous mon toit et meme
si jen avait eu ils eurent été inutiles puisquen terme de réserves nutritives
celles là dedans enfermées ne les interessées pas.
Elles se mouvaient comme si
elles lavaient toujours fait, semblant glisser avec assurance, du bout de leurs
racines radicelles, sur la plaque de cuisson en vitro céramique à linstar de
Philippe CandArtagnan dans larène givrée du centre dentrainement de Saint
Gervais. Je ne pouvais détacher mon regard de ce bulbe disproportionné aux
allures dhideuse tete-eudème violacée et dont le derme partirait en lambeaux
surmontait dune coiffe grassement feuillue et fleurie aussi ridicule quimposante
évoquant dans mon esprit repu dHistoire les atours capillaires de la fantasque
Marie Antoinette avant quelle ne perdit, hélas, ce quelle parait de si folle
facon.
Elles navaient point dyeux et
point de bouche mais ca ne les empecha pas de me sauter sur gorge et
poitrine et denfoncer leurs méchantes fibres digestives – la jacinthe est
gastéropode, je lappris à mes dépends - entre les pores de ma peau si tendre
depuis que je loignais consciencieusement tri-quotidiennement de soins magiques
à la sainte huile dArgan. Ainsi donc, en cette timidement ensoleillée matinée
dhiver, lentement digéré par des végétaux enfin conscients de leurs capacités
réelles et révoltés par leurs conditions précaires, je perdis ma substance et
elles regagnèrent la leur. Juste retour des choses, un de mes congénères les en
avait privé.
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